mardi 26 mai 2015

Internet et relations sociales

Bref survol des écrits sur Internet et le lien social

Le discours pessimiste

Le discours pessimiste insiste sur le fait que les technologies de la communication sont à la source d'une idéologie centrale qui conduit à la désinformation des citoyens et qui est, de surcroît, « probablement devenue la grande superstition de notre temps » (Ramonet, 1997 : 7). Ce discours parle aussi d'un antihumanisme de la révolution technologique : on s'interroge sur l'avenir de la vie humaine dans un environnement où le progrès technologique tend vers le développement des machines « intelligentes » (Breton, 2000 ; Joy, 2000 ; Jonas, 1990). Pour certains, cette évolution résulte de la convergence d'Internet, des valeurs du libéralisme et de l'ouverture de nouveaux marchés (Breton, 2000 ; Ramonet, 1999 ; Barber, 1999). Pour d'autres, elle ne fait que correspondre à la crise du lien social au sein de la société individualiste de masse où les hommes tentent désespérément de combler leur solitude (Wolton, 2000 ; Jauréguiberry, 2000).
Les auteurs critiques dénoncent vigoureusement les effets négatifs des technologies de l'information et de la communication (TIC) sur le lien social. Selon leur point de vue, la communication humaine, médiatisée par l'ordinateur, est transformée par des pratiques pernicieuses telles que la séparation physique et la fin de la rencontre directe, la confusion entre le virtuel et le réel et la communication permanente (Breton, 2000 ; Wolton, 2000 ; Jauréguiberry, 2000). La manipulation identitaire devient une conséquence importante de cette séparation physique ; un « individu peut maintenant superposer une identité virtuelle à son identité réelle » (Jauréguiberry, 2000). En outre, de nombreux auteurs affirment que l'usage croissant d'Internet est lié très étroitement à la maladie de l'homme moderne, c'est-à-dire à la solitude. Selon Breton (2000), l'être ensemble est remplacé sur le réseau, par « l'interactivité », ce qui contribue à créer des « relations très réactionnelles, rapides, peu engageantes ». La performance technique, pour Wolton, n'est aucunement liée à l'amélioration de la communication humaine ; au contraire, elle ajouterait « une bureaucratie technique à la bureaucratie humaine » (2000 : 109). Cette omniprésence de la technologie — multibranchement — ne fait que créer l'illusion qu'on communique avec l'autre ; en réalité, elle réduit l'homme à une sorte d'esclavage, « enchaîné par les mille fils invisibles de la communication » (Wolton, 2000).

Le discours optimiste

Les personnes qui considèrent l'effet d'Internet comme généralement positif tiennent un discours optimiste et parfois même utopiste (Kollock et Smith, 1999). Deux idées principales tissent la trame de fond du discours des défenseurs des nouvelles technologies : 1) la promesse d'un monde meilleur et 2) l'inéluctabilité d'Internet. On affirme d'abord qu'il y aura rehaussement de la qualité de la vie parce que la société en réseau, qui transforme la dynamique spatio-temporelle, réduira les déplacements liés aux accomplissements des fonctions quotidiennes et, donc, fera en sorte qu'on consacrera plus de temps aux loisirs. Gates et al. (1995) superposent à cette dimension spatio-temporelle l'idée qu'Internet nous permettra d'avoir plus de contrôle sur nos interactions, et donc plus de liberté. Avec le progrès technologique et notamment le développement de l'intelligence artificielle, l'ordinateur deviendra le majordome de l'homme (Negroponte, 1995 : 190). Ainsi libéré de nombreuses tâches transférées aux machines, l'homme jouit d'un plus grand éventail de choix et d'activités ; il accroît sa part de liberté. En outre, les autoroutes électroniques, avec leurs diverses applications communicationnelles représentent des voies par excellence pour nouer de nouvelles connaissances, et ce, à l'échelle planétaire. Elles permettent également d'entretenir beaucoup plus facilement les relations avec des parents et des amis auxquels, pour de nombreuses raisons, il est souvent impossible de rendre visite. La capacité qu'a Internet d'unifier les collectivités est fortement soulignée dans tous les écrits ; il est question d'unir les populations du monde, de regrouper les nations, sur le plan réel ou virtuel. Sfez insiste sur le fait que « [l]e réseau est au centre des technologies de la communication, [qu']il en est la figure dominante » (1999 : 20). Mais il précise qu'il s'agit d'un réseau non hiéarchique et que l'interaction y est nettement centrale. Ces visions évoquent les deux caractéristiques principales du réseau : la convivialité et l'accès au savoir (1999 : 21), lesquelles, étroitement interdépendantes, contribuent au rapprochement des êtres humains. De ce point de vue, c'est en facilitant la communication qu'Internet confère du pouvoir parce qu'il permet de mobiliser rapidement des gens pour provoquer des changements (Lévy, 1998 ; Gates, Myhrvold et Rinearson, 1995 ; Negroponte, 1995). Enfin, selon le discours optimiste, le réseau est associé au progrès de la technique qui, en retour et selon l'héritage positiviste du XIXe siècle, est également un facteur de progrès social (Durand et Scardigli, 1997 : 658). Il s'ensuit que celui ou celle qui ne se branche pas est vite marginalisé, et c'est particulièrement vrai pour les jeunes, selon Bill Gates.

Au cours des dernières années, des recherches ont été menées sur ces questions et, dans l'ensemble, elles démontrent que les TIC facilitent les contacts sociaux (Hampton et Wellman, 2000 ; Lam, 1999 ; Parks et Roberts, 1998 ; Patrick, 1997). L'étude de Hampton et Wellman suggère qu'il existe une corrélation entre l'usage des TIC et l'augmentation des contacts sociaux. En effet, les liens sociaux établis dans Netville (une nouvelle banlieue de Toronto où une infrastructure électronique à la fine pointe a été intégrée aux habitations pendant la construction) ne sont plus limités à la proximité physique mais s'étendent bien au-delà des quartiers. D'autres enquêtes indiquent qu'Internet peut contribuer au maintien d'une variété de liens sociaux (forts, faibles, instrumentaux, émotifs). Cependant, rares sont les relations qui sont maintenues grâce au seul intermédiaire des médias électroniques ; leur maintien dépend plutôt d'une combinaison d'interactions qui ont lieu dans les mondes virtuel et réel (Hampton et Wellman, 2000 ; Lam, 1999 ; Parks et Roberts, 1998). Le rapport sur Internet de l'UCLA (2000) révèle que 12,4 % de ses usagers disent avoir rencontré les gens qu'ils ont d'abord connu sur Internet et que 26,2 % n'ont jamais rencontré, physiquement, leurs correspondants en ligne.

Des chercheurs se sont penchés sur l'impact de l'usage des TIC sur leurs relations interpersonnelles, mais les résultats obtenus semblent se contredire. D'une part, l'effet serait positif ; par exemple, les usagers rapportent que, depuis qu'ils participent à une communauté en ligne, ils se réunissent et discutent davantage avec leurs parents et leurs amis (Patrick, 1997 ; UCLA Internet Report, 2000). D'autre part, les répercussions sur la vie sociale seraient négatives et parfois associées à une forme de dépression chez les internautes parce qu'ils se retirent de leur réseau social (Nie et Erbring, 2000 ; Kraut et al., 1998). L'enquête de Nie et Erbring (2000) sur l'effet d'Internet sur la vie quotidienne des utilisateurs indique que 25 % des répondants qui se branchent au réseau plus de cinq heures par semaine rapportent qu'ils passent moins de temps avec leurs amis et les membres de leur famille et que 10 % d'entre eux disent participer moins souvent à des activités à l'extérieur de la maison.

Tableau 1. Synthèse des effets d'Internet sur le social

 

Discours optimiste

Tourné vers le futur et promet un avenir meilleur

Discours pessimiste

Dénonce l'impérialisme communicationnel qui opprime les citoyens

 

Net

  • Promesse d'un monde meilleur
  • Inéluctable (le Net est associé au progrès de la technique et, par extension, au progrès social

 

Net

  • Antihumaniste
  • Hégémonie américaine sur le marché mondial

L'usage du Net :

  • Permet de faire la connaissance de nouvelles personnes et facilite le maintien de relations existantes
  • Entraîne une augmentation d'échanges, donc plus de « créativité collective »
  • Permet la création d'un nouvel outil de mobilisation pour la société civile, donc rend plus facile la participation à un projet de société

L'usage du Net :

  • Contribue à la formation de relations peu engageantes parce que l'être ensemble est remplacé par l'interactivité
  • Contribue à créer un gouffre entre ceux qui sont branchés et ceux qui ne le sont pas
  • Contribue à la désynchronisation des activités sociales et donc constitue une sorte d'obstacle à l'élaboration de projets collectifs

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