Bref survol des écrits sur Internet et le lien social
Le discours pessimiste
Le
discours pessimiste insiste sur le fait que les technologies de la
communication sont à la source d'une idéologie centrale qui conduit à la
désinformation des citoyens et qui est, de surcroît, « probablement
devenue la grande superstition de notre temps » (Ramonet, 1997 : 7). Ce
discours parle aussi d'un antihumanisme de la révolution technologique : on s'interroge sur l'avenir de la vie humaine dans un environnement où le progrès technologique
tend vers le développement des machines « intelligentes » (Breton,
2000 ; Joy, 2000 ; Jonas, 1990). Pour certains, cette évolution résulte
de la convergence d'Internet, des valeurs du libéralisme et de
l'ouverture de nouveaux marchés (Breton, 2000 ; Ramonet, 1999 ; Barber,
1999). Pour d'autres, elle ne fait que correspondre à la crise du lien
social au sein de la société individualiste de masse où les hommes tentent désespérément de combler leur solitude (Wolton, 2000 ; Jauréguiberry, 2000).
Les
auteurs critiques dénoncent vigoureusement les effets négatifs des
technologies de l'information et de la communication (TIC) sur le lien
social. Selon leur point de vue, la communication humaine, médiatisée
par l'ordinateur, est transformée par des pratiques pernicieuses telles
que la séparation physique et la fin de la rencontre directe, la
confusion entre le virtuel et le réel et la communication permanente
(Breton, 2000 ; Wolton, 2000 ; Jauréguiberry, 2000). La manipulation
identitaire devient une conséquence importante de cette séparation
physique ; un « individu peut maintenant superposer une identité
virtuelle à son identité réelle » (Jauréguiberry, 2000). En outre, de
nombreux auteurs affirment que l'usage croissant d'Internet est lié très
étroitement à la maladie de l'homme moderne, c'est-à-dire à la solitude. Selon Breton (2000), l'être ensemble
est remplacé sur le réseau, par « l'interactivité », ce qui contribue à
créer des « relations très réactionnelles, rapides, peu engageantes ».
La performance technique, pour Wolton, n'est aucunement liée à
l'amélioration de la communication humaine ; au contraire, elle
ajouterait « une bureaucratie technique à la bureaucratie humaine »
(2000 : 109). Cette omniprésence de la technologie — multibranchement —
ne fait que créer l'illusion qu'on communique avec l'autre ; en réalité,
elle réduit l'homme à une sorte d'esclavage, « enchaîné par les mille
fils invisibles de la communication » (Wolton, 2000).
Le discours optimiste
Les
personnes qui considèrent l'effet d'Internet comme généralement positif
tiennent un discours optimiste et parfois même utopiste (Kollock et
Smith, 1999). Deux idées principales tissent la trame de fond du
discours des défenseurs des nouvelles technologies : 1) la promesse d'un
monde meilleur et 2) l'inéluctabilité d'Internet. On affirme d'abord
qu'il y aura rehaussement de la qualité de la vie parce que la société
en réseau, qui transforme la dynamique spatio-temporelle, réduira les
déplacements liés aux accomplissements des fonctions quotidiennes et,
donc, fera en sorte qu'on consacrera plus de temps aux loisirs. Gates et al.
(1995) superposent à cette dimension spatio-temporelle l'idée
qu'Internet nous permettra d'avoir plus de contrôle sur nos
interactions, et donc plus de liberté. Avec le progrès technologique et
notamment le développement de l'intelligence artificielle, l'ordinateur
deviendra le majordome de l'homme (Negroponte, 1995 : 190).
Ainsi libéré de nombreuses tâches transférées aux machines, l'homme
jouit d'un plus grand éventail de choix et d'activités ; il accroît sa
part de liberté. En outre, les autoroutes électroniques, avec leurs
diverses applications communicationnelles représentent des voies par
excellence pour nouer de nouvelles connaissances, et ce, à l'échelle
planétaire. Elles permettent également d'entretenir beaucoup plus
facilement les relations avec des parents et des amis auxquels, pour de
nombreuses raisons, il est souvent impossible de rendre visite. La
capacité qu'a Internet d'unifier les collectivités est fortement
soulignée dans tous les écrits ; il est question d'unir les populations
du monde, de regrouper les nations, sur le plan réel ou virtuel. Sfez
insiste sur le fait que « [l]e réseau est au centre des technologies de
la communication, [qu']il en est la figure dominante » (1999 : 20). Mais
il précise qu'il s'agit d'un réseau non hiéarchique et que
l'interaction y est nettement centrale. Ces visions évoquent les deux
caractéristiques principales du réseau : la convivialité et l'accès au
savoir (1999 : 21), lesquelles, étroitement interdépendantes,
contribuent au rapprochement des êtres humains. De ce point de vue,
c'est en facilitant la communication qu'Internet confère du pouvoir
parce qu'il permet de mobiliser rapidement des gens pour provoquer des
changements (Lévy, 1998 ; Gates, Myhrvold et Rinearson, 1995 ;
Negroponte, 1995). Enfin, selon le discours optimiste, le réseau est
associé au progrès de la technique qui, en retour et selon l'héritage
positiviste du XIXe siècle, est également un facteur de
progrès social (Durand et Scardigli, 1997 : 658). Il s'ensuit que celui
ou celle qui ne se branche pas est vite marginalisé, et c'est
particulièrement vrai pour les jeunes, selon Bill Gates.
Au
cours des dernières années, des recherches ont été menées sur ces
questions et, dans l'ensemble, elles démontrent que les TIC facilitent
les contacts sociaux (Hampton et Wellman, 2000 ; Lam, 1999 ; Parks et
Roberts, 1998 ; Patrick, 1997). L'étude de Hampton et Wellman
suggère qu'il existe une corrélation entre l'usage des TIC et
l'augmentation des contacts sociaux. En effet, les liens sociaux établis
dans Netville (une nouvelle banlieue de Toronto où une infrastructure
électronique à la fine pointe a été intégrée aux habitations pendant la
construction) ne sont plus limités à la proximité physique mais
s'étendent bien au-delà des quartiers. D'autres enquêtes indiquent
qu'Internet peut contribuer au maintien d'une variété de liens sociaux
(forts, faibles, instrumentaux, émotifs). Cependant, rares sont les
relations qui sont maintenues grâce au seul intermédiaire des médias
électroniques ; leur maintien dépend plutôt d'une combinaison
d'interactions qui ont lieu dans les mondes virtuel et réel (Hampton et
Wellman, 2000 ; Lam, 1999 ; Parks et Roberts, 1998). Le rapport sur
Internet de l'UCLA (2000)
révèle que 12,4 % de ses usagers disent avoir rencontré les gens qu'ils
ont d'abord connu sur Internet et que 26,2 % n'ont jamais rencontré,
physiquement, leurs correspondants en ligne.
Des
chercheurs se sont penchés sur l'impact de l'usage des TIC sur leurs
relations interpersonnelles, mais les résultats obtenus semblent se
contredire. D'une part, l'effet serait positif ; par exemple, les
usagers rapportent que, depuis qu'ils participent à une communauté en
ligne, ils se réunissent et discutent davantage avec leurs parents et
leurs amis (Patrick, 1997 ; UCLA Internet Report, 2000). D'autre part,
les répercussions sur la vie sociale seraient négatives et parfois
associées à une forme de dépression chez les internautes parce qu'ils se
retirent de leur réseau social (Nie et Erbring, 2000 ; Kraut et al., 1998). L'enquête de Nie et Erbring (2000)
sur l'effet d'Internet sur la vie quotidienne des utilisateurs indique
que 25 % des répondants qui se branchent au réseau plus de cinq heures
par semaine rapportent qu'ils passent moins de temps avec leurs amis et
les membres de leur famille et que 10 % d'entre eux disent participer
moins souvent à des activités à l'extérieur de la maison.
Tableau 1. Synthèse des effets d'Internet sur le social
Discours optimiste
Tourné vers le futur et promet un avenir meilleur
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Discours pessimiste
Dénonce l'impérialisme communicationnel qui opprime les citoyens
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Net
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Net
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L'usage du Net :
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L'usage du Net :
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